Les enfants fantômes: La détresse des enfants trop sages!

Les enfants fantômes

À force de multiplier les règles, les menaces, les mesures punitives et les reproches, certains parents réussissent, en bout de ligne, à « fabriquer » un enfant sage et docile et qui leur renvoie l’impression qu’ils sont de bons parents puisque leur enfant est aimé de tous. Mais à quel prix? À la remise du bulletin, quand l’enseignante dit : « Ho! Justin! Quel enfant gentil et intelligent. J’en prendrais bien douze des comme ça dans ma classe! », tout le monde repars satisfait sans se demander si Justin est heureux et bien dans sa peau. Ces enfants ont parfois appris très tôt à se plier à l’autorité de l’adulte sans trop réfléchir. « Si je fais ce qu’on me demande, si je respecte les règles, on me laissera tranquille. » Certains développeront ainsi très tôt l’angoisse d’être pris en défaut, la peur d’être remarqué ou de décevoir l’adulte.[1] C’est ce que j’appelle « l’anxiété de conformisme ».

Attention, toutefois, les enfants obéissants ne vivent pas nécessairement tous autant d’anxiété. Certains d’entre eux ont simplement un tempérament flexible et n’ont besoin que de peu d’encadrement alors que d’autres ont pu développer un comportement responsable et serein. Je parle ici plutôt des enfants sous tension, ceux qui obéissent sagement et s’obligent à adopter un comportement exemplaire en tout temps dans l’espoir de répondre aux attentes et d’être aimés de leurs parents exigeants.

En effet, puisqu’ils répondent généralement bien aux attentes des adultes, les parents tiendront à encourager et gratifier ces comportements exemplaires et multiplieront les récompenses et valorisations. Dans certain cas, un autre enfant de la famille, celui-ci moins docile et manifestant même parfois un trouble de comportement, viendra encore mettre davantage en lumière la malléabilité de celui qui sera désormais reconnu comme « l’ange » de la famille, celui qui prouve à ses parents que ce n’est pas leur faute si son frère a des comportements dérangeants. En vieillissant, l’enfant risque donc de décoder le message suivant : « Mes parents m’aiment PARCE QUE je suis obéissant, que je fais ce qu’on attend de moi. Je suis un « bon enfant » quand j’adopte un comportement exemplaire. » Naît alors l’angoisse du rejet. La moindre erreur de leur part, le moindre écart de conduite fait planer sur eux la menace de désapprobation, d’être déchu de leur statut d’ange, remettant en cause leur identité ainsi que l’amour parental.[2] « Si on m’aime et me valorise PARCE que je suis sage, peut-être cessera-t-on de m’aimer si je ne suis pas parfait? »

Par ailleurs, une étude portugaise, menée auprès d’enfants particulièrement dociles, pendant plus de douze ans, a démontré que ces enfants modèles avaient vécu à l’âge adulte plus de dépression et d’angoisse (12 %) que les enfants difficiles (8 %).[3]

640614799

On peut présumer que les enfants sages, cherchant à plaire aux adultes, sont généralement devenus des adultes gentils ayant parfois du mal à mettre des limites à leur entourage et oubliant de tenir compte de leurs désirs et besoins au profit des autres. Être sage témoigne d’une grande souplesse d’adaptation, peut-être même d’une trop grande malléabilité qui, soumettant l’enfant aux pressions de conformité sociale, entrave le développement d’une partie de sa personnalité, ce qui donnera plus tard un adulte malheureux. [4]

Devenus également des employés modèles, ils accèdent moins souvent aux postes de direction, ont tendance à être perfectionnistes et plus enclins à l’épuisement professionnel. Conjoints dociles, ils se retrouveraient également plus fréquemment au cœur de relations violentes et abusives. Souvent surprotégés alors qu’ils étaient enfants, ils réagissent mal devant l’échec et ne sont pas « équipés » pour faire face aux déceptions et autres aléas de la vie. Habitués à réussir et à susciter l’admiration, ils n’ont tout simplement pas développé la résilience nécessaire pour encaisser les revers sans s’effondrer.

Les enfants trop sages, trop bien adaptés, font plaisir aux adultes ou plutôt les soulagent. Leur trop bon comportement rend l’adulte moins attentif. Il entoure moins le petit et laisse se développer un équivalent phobique, un hyperattachement d’enfant qui n’ose pas se lan­cer seul et flatte ainsi l’adulte en lui obéissant trop bien. Les enfants trop protégés paraissent tranquilles et épanouis puisqu’ils n’ont jamais l’occasion de se mettre à l’épreuve. On les croit solides puisqu’ils n’ont jamais révélé leur faiblesse, jusqu’au jour où un minuscule événement les met à terre.[5]

On peut donc se demander si, finalement, les parents qui semblent réussir le mieux leur tâche parentale ne sont pas eux aussi à côté de la plaque. Si cette belle-sœur qui présente en tout temps une marmaille tirée à quatre épingle, sage et polie et qui brandit fièrement, au souper familial, le dernier bulletin de fiston afin que tous valorisent encore un peu plus le conformisme du bambin ne fait pas également fausse route… Tout est donc toujours une question d’équilibre: enseigner à nos enfants à être de bonnes personnes, mais aussi leur enseigner à s’affirmer, à commettre des erreurs, à demander pardon, à assumer leurs bêtises, accepter de décevoir et parfois tenter de se dépasser, savoir dire parfois « non » pour se respecter et parfois dire « oui » pour faire plaisir et simplement se permettre d’être humain.

NOTE: L’auteur de cet article offre également une conférence et une formation sur le sujet.

https://sosnancy.com/wp/wp-content/uploads/2012/10/Les-enfants-fant%E2%84%A2mes-ces-en-fants-qu%E2%80%99on-ne-voit-pas.pdf

[1] Cyrulnick, Boris. Le Murmure des fantômes, éditions Odile Jacob 2003.

[2] Guthrie, Dr Élisabeth. Matthews, Kathy. Ces enfants que l’on veut parfaits, Les Éditions de l’Homme, 2002.

[3] Fonseca, A.C. Damiao, M.H. Rebelo, J.A. Oliviera, M.F. Pinto, S.J.V. Que deviennent les enfants normaux. Université de Coïmbra. Congrès de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Paris, 29/10/2004.

[4] Cyrulnik, Boris. Extrait de l’article Le problème des enfants sans problème www.psychologie.com

[5] Cyrulnik, Boris. Extrait du livre Le murmure des fantômes. éditions Odile Jacob 2003.