La reine malade

Une excellente allégorie humoristique de ma collègue Dominique Vézina, auteure aux éditions Midi-Trente.

dominique Vézina

Laissez-moi vous raconter un conte fraîchement composé de la région de Lanaudière… ou comment crier son désespoir différemment… Les allégories, contes et légendes, ça fait réfléchir, non? Espérons que mon histoire trouvera écho puisqu’elle dénonce la souffrance d’une région fort populeuse, mais qui n’arrive pas à se faire soigner… Plusieurs s’y reconnaitront, puisqu’il y a un gros fond de réalité dans les propos…

La reine malade

C’était en décembre (ben oui, je l’ai dit que ce conte était tout frais!), la santé de la reine du foyer n’allait pas bien du tout… Elle qui doit s’assurer du bien-être de ses 2 princesses, de ses 2 princes, en plus de leur ami Gilles-de-la-Tourette (quel syndrome celui-là!) qui s’amuse à leur rendre la vie bien difficile et de son chevalier, son roi aimant (bon, le chevalier est capable de s’occuper de lui, mais il faut tout de même prendre soin du couple royal!). Elle s’occupe du château, des multiples rendez-vous princiers dus à leur ami Gilles, de Noël qui approche, de ses 22 petits sujets de 6 ou 7 ans qui comptent sur elle à l’école du château (ouin, c’est une reine prof qui aime prendre soin de son monde…) et elle est même auteure à ses heures! Mais voilà qu’aujourd’hui la reine est à court d’énergie.

Normalement, la souveraine y arrive… Mais cette année, elle est victime d’une attaque. De vilaines créatures microscopiques venues de la lointaine contrée Microbius, probablement envoyées par la méchante sorcière «Tèbrûlée», sont arrivées. Sans pitié, elles se sont attaquées aux petits sujets de la reine et se sont multipliées dans leur nez et leurs poumons (oh que ça coule du petit nez et ça tousse aussi la marmaille!), les rendant fiévreux. La reine a combattu vaillamment avec toutes les armes disponibles (mouchoirs, tisanes, pouche-pouche nasal, pompes pour l’asthme, alouette!), mais elle épuisait ses ressources.

De jour en jour, la situation de la reine se détériorait. Elle a perdu sa douce voix. Elle ne dormait plus, assaillie par la toux et respirant péniblement. Mais elle tenait bon, on ne quérit pas l’aide des sages pour un simple rhume (tout le monde sait de toute façon que si on va se faire soigner trop tôt, on nous reprochera de voler la place de quelqu’un de vraiment malade! Alors il faut choisir son moment, quitte à se faire reprocher ensuite d’y être allé trop tard… Absurdité d’un système de santé en piteux état…) À bout de force, elle se résigna toutefois à demander du renfort. Elle se tourna, pleine d’espoir, vers les grands maîtres guérisseurs. Il y en a plusieurs dans la région, mais pour avoir la chance de les rencontrer, il faut en avoir un personnel, un guérisseur de famille (ben oui, pas de médecin de famille, tu restes avec tes bobos!). La reine en a bien un, mais il est en vacances (c’est Noël pour tout le monde!), alors elle cherche du côté des guérisseurs-sans-rendez-vous… et la quête commence! C’est qu’ils ont tous une nouvelle boîte magique qui réserve les places (eh oui, plus de files d’attente devant la clinique tôt le matin, on appelle ou on pitonne sur le web et on réserve). Le principe n’est pas mauvais, mais les places se remplissent en quelques minutes et c’est le hasard qui décide si tu seras soigné… La reine n’est pas chanceuse aux jeux de hasard… (même le moteur de recherche de cliniques payant «bonjour-santé» affiche qu’il n’y a pas de place… Et avec l’alerte cellulaire pour les rendez-vous qui se libèrent, on avise par texto qu’une place se libère à 426 autres personnes en même temps! Évidemment, pas assez vite sur les pitons de l’ordi pour attraper ledit rendez-vous en ligne avant les 425 autres…).

C’est là que le roi s’en mêle. «Assez, c’est assez! Ma reine ne peut pas rester ainsi! Nous irons chercher un guérisseur d’une autre contrée. On dit que ceux du pays Privé-Sort-Tes-Deniers sont fort disponibles bien que coûteux.» La reine était contre l’idée (eh, ho! Y’a déjà l’orthophonie pour fiston et plein d’autres services payés au privé pour compenser ce que le gouvernement ne paie pas. Subir les pénuries de spécialistes de toutes sortes pour les besoins princiers particuliers, ça coûte déjà cher à la famille royale sans fortune, mais au grand coeur!). 125 deniers pour ouvrir le grimoire et 125 autres pour la consultation! Cependant, à bout de force, la reine est contrainte d’accepter…

Une heure à peine plus tard, Sa Majesté entre dans l’antre du guérisseur. Elle fut tout de suite étonnée de la richesse des lieux. Accueil personnalisé, dossier complet dans la petite boîte enchantée avec possibilité de lui transférer toutes les informations sur l’état de santé royal par pigeon voyageur directement au château (par courriel, tout simplement!). Salon d’attente avec foyer et décor cossu plus «désign» que le château de la reine… 15 minutes plus tard, la reine avait vu une jeune guérisseuse et sortait avec une formule à la main. Elle alla visiter le maître des potions (ben oui, c’était son ami Jean-de-la-Coutu qu’elle côtoie déjà régulièrement pour petit Gilles-de-la-Tourette et autres maux royaux. Ah ce maître des potions, une chance qu’il est là! Il a souvent aidé la reine dans l’attente d’un guérisseur.).

Photo de Dominique Vézina.

Le temps passe, mais la situation se détériore. Pourtant la reine a utilisé la médecine du guérisseur du pays Privé-Sort-Tes-Deniers. Une amie royale lui suggéra d’aller au village Hôpital-Guéri-Tout. Là, on prendrait une image des créatures des poumons de la reine, on analyserait son sang (bleu, bien sûr!), on lui ferait respirer à pleins poumons de nouveau! C’est donc rempli d’espoir qu’elle s’est présentée au village. À son arrivée, quelle ne fut pas sa surprise de voir les innombrables calèches qui attendaient tout autour (le stationnement de l’urgence qui déborde, ce n’est pas bon signe!). La villageoise qui triait les arrivants trimait dur. «Oui, Majestée, je vois bien votre détresse, mais voyez-vous, aujourd’hui, il n’y a qu’un guérisseur à Hôpital-Guéri-Tout, si bien que vous en aurez pour au minimum 20 heures à attendre…» La reine s’est assise quelques heures, observant la scène… En tout, deux noms ont été appelés parmi cette foule de sujets souffrants (en fait, il est écrit ici «sujets», mais il serait plus avisé de lire «rois», «reines» et leur famille, car tous les êtres humains sont les rois et les reines de leur maisonnée et tentent de se construire leur petit royaume en amour et en santé. Personne n’a donc de titre plus important les uns que les autres, mais tous aspirent à une parcelle de bonheur avec les êtres aimés). Les calèches ne cessent d’arriver avec à son bord des bébés, des vieillards et des blessés. Les chances d’être vue sont minces. La reine n’est pas la plus malade malgré son triste état. Elle choisit de quitter, espérant que son guérisseur de famille sera enfin de retour de vacances le lendemain.

Cette nuit-là, la reine dormit encore une fois bien péniblement, assise sur son trône royal au milieu du salon (pas capable de se coucher sans étouffer). Elle ne le savait toujours pas, mais une étoile brillait dans le ciel. Son mari le roi, quittant tôt pour vaquer aux affaires royales, l’avait vue, lui. Il avait suivi l’«Étoile» (ben oui, c’est le nom d’une petite clinique!) qui l’a mené jusqu’à la ville de l’Épiphanie (ben oui encore, comme la fête des Rois Mages qui ont suivi l’étoile pour trouver le petit Jésus dans l’étable… Sauf que là, c’est plutôt du docteur dont il est question!). Le roi a retrouvé le guérisseur de famille qui venait tout juste de revenir de vacances. Il avait pris rendez-vous pour la reine qui a enfin pu être soignée. Nouvelles potions, image des poumons, repos de plusieurs jours… L’espoir renaît au château. La reine guérira d’une pneumonie et d’une sinusite.

Cependant, c’est une reine amère qui en veut au chef des guérisseurs de rendre les soins de santé si peu accessibles à ses sujets… Elle n’est pas assez riche (une simple reine de classe moyenne) pour payer tous les services privés dont la famille royale a besoin et elle est en colère contre le système de loterie (souvent payante) pour obtenir les services de santé du système public au sans rendez-vous (qu’elle n’arrive jamais à gagner de toute façon!). Cette reine (et tous les sujets de la contrée québécoise) a toutefois un pouvoir, celui de dénoncer dans l’espoir que d’autres suivront. Il lui reste encore l’espérance que l’on croit suffisamment au bien-être collectif pour permettre un accès facile aux médecins et que les dirigeants de la santé (elle pense au guérisseur en chef Gaétan Barette entre autres…) fassent les bons choix pour rétablir la situation.

Conte tiré de la vie de son auteure, Dominique Vézina. Les histoires contiennent souvent un fond de vérité… Celle-ci en est remplie. Je vous l’offre. Faites voyager cet écrit. Soyons nombreux à le partager… En souhaitant que le message contenu dans ce conte soit une goutte de plus qui ébranle le cœur d’un politicien qui choisira le bien-être de la population qui a placé sa confiance en lui.

Dominique Vézina est l’auteur du livre Laisse-moi t’expliquer le syndrome Gilles de la Tourette, paru aux éditions Midi-trente

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